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L’Union européenne, une puissance normative : L'exemple du Partenariat euro-méditerranéen


Pierre-Yves Andrau
Fonctionnaire à la Commission européenne,
responsable des relations en matière de propriété intellectuelle avec les pays EUROMED et l’Afrique.
Ancien élève de la Faculté de Droit



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Le Partenariat euro-méditerranéen est dès son origine un processus particulièrement ambitieux: établir une zone de paix, de stabilité et de prospérité sur le pourtour méditerranéen. Les événements récents, derniers soubresauts en date des printemps arabes et au-delà des vicissitudes inhérentes à ce type de construction politique à l'échelle internationale, ne sauraient détourner le Partenariat de ses buts initiaux. Le principal instrument de ce processus est l'instauration progressive d'une zone de libre-échange interrégionale cohérente réunissant les pays de l'Union européenne (UE) et les pays de la rive sud de la Méditerranée. Il s'agit de faire émerger des solutions économiques pérennes dans le cadre d'une zone de libre-échange et ainsi contribuer à relever plusieurs défis d'ordre politique et social. Pour autant, le Partenariat euro-méditerranéen ne saurait être réduit à ses seules dimensions économiques et politiques. Les considérations géostratégiques et les enjeux socio-économiques sont certes d'une importance capitale mais le juriste est le mieux placé pour révéler certaines dynamiques légales sous-jacentes qui en profondeur transforment les sociétés et les mœurs.

Il est à cet égard une dimension extérieure de la construction européenne dont il est rarement question et qui mériterait que plus de visibilité lui soit donnée; l'influence de la norme règlementaire européenne dans la mondialisation des économies. Lorsqu'il s'agit de l'analyse du degré de concurrence que se livrent les régimes légaux entre eux, nous sommes plus prompts à dénoncer l'impérialisme juridique des États-Unis que de louer l'influence des normes règlementaires et des standards européens dans le monde. On ignore en effet trop souvent que les américains eux-mêmes, mais également d'autres dans le monde, agissent selon des standards, des normes ou des règles définis par les européens.
C'est cette convergence des normes règlementaires à laquelle on assiste au sein des pays de l'EUROMED. Elle obéit à deux dynamiques parallèles.
C'est tout d'abord par le fonctionnement des marchés que la globalisation "unilatérale" des règles européennes se développe. D'autre part, la convergence règlementaire est le résultat des relations bilatérales menées dans le cadre de la politique commerciale commune de l'UE, notamment dans le cadre de Traités bilatéraux et la mise en œuvre de la clause de la nation la plus favorisée.

Les conditions de la globalisation "unilatérale" des normes sont réunies lorsqu'un État ou un ensemble régional juridiquement cohérent tel que l'UE, est en capacité "d'exporter" ses lois ou règlements hors de ses frontières par le fonctionnement naturel des marchés, ce qui revient à créer une globalisation de fait des standards. C'est dans une certaine mesure ce phénomène qui est à l'œuvre lorsqu'on observe la part croissante de l'acquis communautaire intégrée par les pays du sud de la Méditerranée.
L'UE remplit toutes les conditions pour "exporter" son modèle. Elle a le PIB le plus élevé du monde (supérieur aux États-Unis et presque 2 fois celui de la Chine en 2014); il s'agit d'un ensemble régional doté d'une capacité régulatrice très avancée et son aptitude à faire respecter ses règles sur son territoire selon les règles de l'État de droit est un modèle d'efficacité.
Les opérateurs économiques des pays du sud de la Méditerranée ne s'y sont pas trompés. Les industriels, les agriculteurs, les commerçants ou les centres de recherches, respectent spontanément des normes règlementaires et des standards inspirés de l'acquis communautaire afin de pouvoir pénétrer le plus vaste marché au monde. Ils sont d'ailleurs en demande d'assistance technique et de "capacity building" dans de nombreux domaines, à tel point qu'une véritable industrie d'assistance technique s'est mise en place entre les deux rives de la Méditerranée.

On assiste donc, en particulier dans les pays du Maghreb comme le Maroc et la Tunisie, à un effet juridique de facto qui peut aller jusqu'à transformer les normes règlementaires européennes en standards nationaux et régionaux. La puissance économique de l'UE et les liens historiques que certains États membres entretiennent avec les pays du Maghreb et une partie du Machrek n'expliquent pas totalement le pouvoir d'attraction des normes règlementaires européennes. Alors que l'UE n'exerce aucune coercition sur les opérateurs des pays du sud de la Méditerranée, elle propose contrairement à d'autres économies de taille comparable, des normes règlementaires issues d'un processus démocratique complexe mais puissant, qui fait la synthèse d'un grand nombre d'options et de pratiques existantes au sein même de l'UE. En outre, l'UE est dotée d'une forte capacité règlementaire et d'une structure institutionnelle supranationale (y inclus un ordre juridique autonome) qui lui permet d'agir dans tous les domaines des affaires (et pas seulement dans le secteur de l'environnement ou de la santé publique) garantissant ainsi une véritable cohérence du système juridique. Les marchés sont suffisamment intégrés à l'économie mondiale dans un certain nombre de pays (Maroc, Tunisie, Israël, Égypte ou la Jordanie) pour susciter en leur sein les adaptations à des règles émanant d'un régulateur plus strict et plus rigoureux.
Cette convergence règlementaire conduite par le monde des affaires et les opérateurs économiques n'interdit pas que les États maintiennent le cadre normatif national. Toutefois, il n'est pas rare que cet ajustement de fait auquel les entreprises des pays du sud de la Méditerranée procèdent ouvre la voie à une mise en œuvre de droit par les législateurs nationaux. Cet alignement des législations se fait dans le cas le plus fréquent où la règle européenne est plus stricte (ou "mieux disante") que la règle nationale. Les pays du sud méditerranéen se retrouvent en quelque sorte dans la situation d'un État membre qui doit transposer dans son droit interne une directive de l'UE mais qui, à la différence de ce dernier qui doit en toute hypothèse converger sur tous les plans, ont quant à eux toute latitude pour adopter ou intégrer librement les dispositions qui leur semblent les plus appropriées. Au terme de ce processus, les normes règlementaires de l'UE deviennent des normes règlementaires intégrées aux régimes juridiques nationaux.

Le processus que nous venons de décrire succinctement ne doit pas occulter le second processus à l'œuvre au sein de l'EUROMED et qui consiste à faire converger les systèmes juridiques respectifs. Cette convergence règlementaire se fait dans le cadre de relations bilatérales menées sur base des articles 206 et suivants du Traité sur le fonctionnement de l'UE; Accords d'Association limités au commerce des marchandises avec la plupart des partenaires exceptées la Syrie et la Libye; perspectives d'Accords de Libre Échange Complets et Approfondis (ALECA) avec certains autres tels que le Maroc ou la Tunisie, mais aussi la Jordanie et l'Égypte, portant sur l'agriculture, les services et l'évaluation de la conformité et l'acceptation des produits industriels. En outre dans le cadre de plans d'action agrées avec les partenaires du sud de la Méditerranée dans le cadre de la politique européenne de voisinage, une collaboration structurée est mise en place visant à l'intégration progressive et sélective de l'acquis communautaire dans le domaine de la standardisation, de la conformité et l'acceptation des produits industriels via la signature des ACAA (Agreements on Conformity Assessment and Acceptance of industrial products). L'objectif est d'ouvrir le marché européen aux exportations de produits industriels des pays du sud de la Méditerranée qui n'y ont pas actuellement accès par manque de conformité. Le premier ACCA dans le domaine des produits pharmaceutiques a été signé avec Israël.

Il est classique de critiquer le processus de globalisation en dénonçant la libéralisation des échanges commerciaux qui constituerait un moyen de saper la protection que garantissent les droits nationaux et aboutirait à terme à un nivellement par le bas des régimes juridiques. Les pays abaisseraient leurs normes règlementaires afin d'améliorer leur compétitivité et leur position concurrentielle.
C'est au phénomène contraire auquel on assiste dans la plupart des domaines. Cela peut sembler contre-intuitif mais l'internationalisation des économies incite plutôt à une élévation du niveau des normes règlementaires; ces normes devenant plus strictes au niveau national au fur et à mesure que l'économie devient plus intégrée. En effet, la convergence se fait généralement vers la norme la plus exigeante, la plus stricte et la plus "précautionneuse" lorsqu'il s'agit de négocier des standards et des normes règlementaires et non plus uniquement la levée ou la diminution d'obstacles tarifaires ou non tarifaires. Certains pays du sud méditerranéen ont, comme nous l'avons vu précédemment, intégré un grand nombre de normes règlementaires de facto puis de jure (ALECA et ACCA). Le processus de convergence de l'UE par le droit international est volontariste et vient parachever en l'approfondissant la convergence naturelle des législations au sein de l'EUROMED. C'est tout l'enjeu des négociations en cours avec le Maroc et à venir avec la Tunisie. Dans les domaines tels que la propriété intellectuelle, les marchés publics, les normes sanitaires, la conformité des produits industriels ou la concurrence, l'UE "exporte" les standards souvent les plus élevés au monde et n'entend pas les abandonner ou les négocier à la baisse. Par la nature même de la construction européenne, par ses objectifs et son souci constant d'œuvrer pour un environnement juridique plus stable et prévisible, l'acquis communautaire représente pour tous les pays du sud de la Méditerranée une source de progrès et de développement.

Quels que soient le poids respectif des processus décrits ci-dessus, une coopération juridique est nécessaire pour assurer une mise en œuvre efficace de la convergence règlementaire. L'aide à destination de publics aussi variés que les étudiants ou professeurs, les fonctionnaires ou les acteurs privés est nécessaire. L'École Européenne de Droit, unique en son genre, est tout à fait bien placée pour apporter assistance et expertise juridique à la fois aux pays du sud de la Méditerranée mais également à l'UE.


Les opinions développées dans cet article sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la position de la Commission européenne

 



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